Alexie, ses chiens Meska, Dolly et Keïla et Bernard, habitant de Messy.


ARTHUR

C’est l’automne. Arthur vient nous chercher à l’église en vélo. Il est tout sourire. Il a touché une indemnité de 3000 euros, parce qu’il y a cinq ans, un pylône de clôture lui est tombé accidentellement dessus, lui fracassant l’os du fémur et le pied. Après un procès contre les habitants de Messy propriétaires du matériel défectueux, et une rééducation de 6 mois, Arthur a enfin bénéficié des réparations. Avec l’argent, il s’est acheté un casque audio tout neuf et une machine Korg pour jouer de la musique électronique. Il a mis de côté le reste pour passer son permis de conduire. Nous le filmons en travelling sur son VTT qui traverse le village.

Arthur

Arthur a 20 ans. Cette année, il voulait faire une formation d’horticulteur, mais il n’y a plus de place. En attendant, il vit chez ses parents à Messy. Sa mère est institutrice et d’après Arthur elle est « cool ». Elle le laisse vagabonder  avec Alexie, sa meilleure amie. L’année dernière, il a vécu 6 mois avec elle dans la rue à Toulouse après avoir travaillé en intérim.  Arthur est très heureux de nous montrer les photos et les petits films qu’il a réalisés à cette période. On y voit leur campement au bord de la Garonne et le quotidien des adolescents, oscillant entre rencontres avec des musiciens de rue, fêtes arrosées et baignades avec leurs chiens. En voyant ces images, je décide d’en faire une copie pour éventuellement les intégrer au film.

Arthur nous dit en interview, qu’il voudrait devenir colporteur. Il fabrique des bijoux, et il rêve de les vendre en se déplaçant en camion. Sa mère semble l’encourager à poursuivre cette activité. Elle a même vendu certaines de ses créations à des collègues de travail. Cette idée lui est venu après sa rencontre avec une femme d’une quarantaine d’année, qui vendait des objets d’artisanat dans son camion en teknival. Après avoir longuement discuté avec elle, Arthur a  considéré que la vie de nomade était possible, et que l’on pouvait même vivre ainsi en vieillissant. Depuis la rentrée, Arthur n’est plus beaucoup chez ses parents. Il squatte plutôt avec Alexie dans une maison de la rue principale du village, chez Laurent.

LAURENT

Laurent

Laurent dans la maison de sa grand-mère à Messy

Laurent est arrivé à Messy en Juin dernier. Sa présence dans le village s’est faite remarquée, puisqu’il avait une grande crête verte. Laurent a 21 ans, et sa vie n’est que départs successifs. Enfant de la DASS, depuis son plus jeune âge, il passe de famille d’accueil en famille d’accueil et parcourt la France. Le père de Laurent est en prison à Fleury-Mérogis. Il y purge une peine de trente ans. Après 6 mois dans la rue, à Bastille, la grand-mère de Laurent lui a prêté sa maison vide à Messy. Laurent avait trouvé du travail comme vendeur de matériel de jardinage. Il a été obligé de raser sa crête en échange de la promesse d’un CDI. Laurent dit de sa famille, que ce sont tous des « enculés ». Il n’aime pas son père, il n’aime pas sa mère. Il va quand même lui rendre visite de temps en temps pour voir ses deux sœurs. Il aimerait mieux connaître la famille du côté de sa mère car ils sont forains. Cette vie lui plairait, éventuellement. Depuis que Laurent est dans la maison de sa grand-mère à Messy, c’est le squat. Tous les ados du village se réunissent là pour fumer un pétard, boire une bière, écouter de la musique et rigoler avec le Punk et sa chienne Dolly. Laurent filme avec sa web cam toutes les soirées dans la maison. Tournées en plan fixe, les vidéos témoignent en temps réel de la bande d’adolescents. On les voit qui regardent la télévision, discutent ou font la fête. Une sorte de Loft Story amateur. Certaines nuits quand les autres dorment, Laurent tire au paint-ball ou au fusil de chasse sur les murs. Depuis que Laurent est arrivé dans le village, c’est la crise.

LA CRISE

maison

Alexie, Arthur et Laurent devant la maison.

Lorsque nous arrivons chez Laurent, les adolescents se réveillent à peine. Il est midi. Nous les filmons sur le pas de la porte, ils rangent les cadavres de bouteilles de la veille. Ils ont plein de choses à nous raconter. Arthur, tout excité, nous explique que depuis quelques semaines, « tout est parti en couille ».

Mathieu, le fils du gendarme de Messy, a fait une fugue et s’est réfugié chez Laurent. Le père catastrophé a « pété un câble ». Il a menacé les adolescents à la machette et cassé la porte d’entrée de la maison de la grand-mère de Laurent. Puis, un soir, saoul, Laurent a tiré avec le fusil de chasse de sa grand-mère sur un lampadaire du village. Des voitures ont brûlé devant la maison.Toute la bande a ensuite fabriqué des pochoirs à leur image et ils ont graphé les murs du village.

Face aux plaintes des habitants de la commune, le maire a dû réagir et organiser une cellule de crise. Les gendarmes ont perquisitionné dans la maison. Ils ont trouvé le fusil et les pochoirs. Laurent reconnaît ses méfaits, et prend tout sur lui, même s’il n’est pas le seul à avoir taggé les murs. Mais il s’insurge, quand on l’accuse d’avoir brûlé trois ou quatre voitures devant chez lui. Pourquoi aurait-il fait cela ? Il est peut-être idiot, mais pas au point de cramer des caisses devant sa propre maison, et des voitures d’amis de surcroît. La police est venue et lui a confisqué ses fusils. Il a fait 48h de garde-à-vue. Il passe en jugement le 30 janvier 2009, alors qu’il a déjà un casier judiciaire et trois ans de sursis. Il n’a pas l’air de se rendre compte qu’il risque une peine de prison ferme.

Suite à tous ces événements sans doute, sa grand-mère lui a demandé de payer 600 euros d’électricité avant la fin du mois d’octobre. Il refuse, d’une part parce qu’il n’a pas d’argent, et d’autre part, parce qu’il ne veut pas payer les frais de chauffage de l’hiver dernier, alors qu’il n’était même pas là. Du coup, il pense partir. Sa copine d’origine portugaise et ses parents ont accepté de le loger. Au pire des cas, il retournera zoner à Bastille. Au moins, en faisant la manche, il est sûr de manger à sa faim… Pour l’instant Laurent ne mangeait que le soir. Nous filmons une séquence où le maire lui apporte un sac de nourriture et discute avec Laurent sur le pas de sa porte.

LA RÉPARATION

Nous filmons Alexie, Arthur et Laurent qui effacent les graffitis dans la ville sous l’œil méfiant des vieux du village. Le maire passe par là et échange quelques mots avec eux. Les pochoirs représentaient des personnages correspondant à chacun des adolescents. Arthur avait choisi le NOMAD’S LAND. Cela pourrait devenir le titre du film.

Alexie efface le graffiti d’Arthur “Nomad’s Land”

Laurent et Arthur effacent leurs graffitis à l’aide des bombes fournies par le maire

LE DÉPART

Dans l’après-midi, nous décidons de faire une interview posée de tous les adolescents au terrain de basket où ils se retrouvent souvent. Je leur demande de raconter leur enfance au village et d’expliquer les motifs de leur départ imminent. Arthur, Alexie et Mathieu, le fils du gendarme,  ont en effet décidé de prendre un appartement ensemble à Toulouse. Mathieu est électricien de formation, il compte chercher un travail une fois sur place. Alexie est contente qu’il parte avec eux, elle dit que comme ça, ils seront sérieux.

Mathieu, le fils du gendarme dans la maison de Laurent à Messy.

Mathieu n’adhère pas du tout à l’idéal nomade d’Alexie et d’Arthur. Il rêve d’un joli pavillon, d’argent et de vacances en club à la mer. Sur le terrain de basket, nous sommes rapidement rejoints par d’autres amis d’enfance de la bande. Ils ont tous le look hip-hop comme Mathieu : crânes rasés, jogging, casquettes. S’ensuit une discussion entre pro-sédentaires et pro-nomades, sur les perspectives d’avenir des uns et des autres. Ils rigolent avec Arthur et Alexie et les appellent les Vagabonds. Ils se moquent gentiment d’eux et de leur allure sale et misérable. La discussion entre les adolescents est animée. Ils sont tous d’accord pour dire qu‘il faut quitter Messy.

Plus tard dans la nuit, nous filmons la fête chez Laurent. C’est le hip-hop qui domine. Tous les amis de l’après-midi sont venus. Le chinois, Kenji et Pakat posent leurs textes sur des instrus. Ils chantent leur révolte. Mathieu danse avec Laurent, pendant qu’Alexie rase la tête d’Arthur dans la salle de bain. Vers deux heures du matin, Julien se tatoue une flamme sur le mollet. C’est une des dernières nuits des adolescents à Messy.

ALEXIE

Alexie joue avec Meska et Dolly dans le parc de Messy.

Alexie a tout juste 18 ans. Alors que nous la suivons en compagnie d’Arthur et Laurent en train d’effacer les graffitis dans Messy, sa mère passe par là. Nous les filmons ensemble. La mère d’Alexie est revenue à dans le village pour signer l’acte de vente de son ancienne maison. Depuis deux ans, elle habite avec sa petite amie et son bébé dans la campagne autour de Toulouse. Alexie ne sait pas très bien où aller. Son père, souffre d’alcoolisme et habite toujours Messy, en face de chez Laurent. Déchirée entre ses parents, Alexie n’a trouvé que la rue comme voie de secours. Le nomadisme, l’errance, la rue, dont elle parle comme des choix de vie, s’avèrent  être des solutions à son mal-être.

Alexie pensait ne rester qu’une semaine à Messy, pour voir sa famille et ses amis. Finalement, elle est restée un mois. Le séjour mouvementé dans le village de son enfance lui a donné de nouvelles perspectives.  Alexie est motivée pour trouver un appartement assez grand pour y loger à trois avec Arthur et mathieu. Sachant que Mathieu compte être sérieux et travailler, Alexie a décidé, avec Arthur, de passer son permis. Quand ils l’auront, ils achèteront un camion et partiront sur les routes.