LE STYLE D'EXISTENCE OU LA VIE POLITIQUE (d’après Michel Foucault)
Par Pierre-Olivier Dittmar le mardi 21 avril 2009, 12:46 - parallèles - Lien permanent
Au cours du mois de janvier est sorti un ouvrage important pour notre question. Il s’agit de l’édition des tous derniers cours donnés par Michel Foucault au Collège de France en 1984. Le recueil s’intitule Le courage de la vérité. Le gouvernement de soi et des autres II (Paris, Hautes-Etudes, Seuil-Gallimard, 2009).
A priori le sujet de ce cours est assez éloigné des travelers et autres nomades des temps modernes : Foucault s’intéresse alors à ce qu’il appelle les formes « alèthurgiques », c’est-à-dire les différentes modalités de production de la vérité. Cette année-là, le philosophe se penche sur le concept de Parrêsia qu’il emprunte à la pensée grecque, et qui désigne une forme de « dire-vrai » à la fois insolente et provocatrice.
A partir du 29 février 1984, le cours change sensiblement d’objet pour s’intéresser à ce que Foucault appelle l’esthétique de l’existence, un concept qu’il aborde à partir de l’exemple des philosophes cyniques.
Dans la leçon dont nous donnons ici un extrait, Foucault abandonne l’analyse des discours pour s’intéresser aux pratiques. Pendant une heure, il brosse à grands traits un programme de recherche – que la mort l’empêchera de réaliser – portant sur différents styles de vie marginaux à travers l’histoire, ce qu’il appelle des modes de vie militants, qui sont autant de façon de faire de la politique, non pas avec des doctrines mais avec son corps, son style d’existence.
Si ce cours m’interpelle, c’est tout d’abord parce qu’en cherchant des styles d’existence politiques à travers les siècles, Foucault convoque les cyniques, les franciscains et les anarchistes, soit peu ou prou les mêmes groupes que j’avais regroupés sous le terme d’animalité critique. Mort en 1984, Foucault n’a jamais croisé de punks-à-chiens, ni de travellers, mais mon intuition est que ceux-ci, mieux que tous autres, incarnent aujourd’hui les valeurs que le philosophe énonce dans son cours.
Cet immense programme, il en aura à peine franchi le seuil, ne développant que la partie relative aux cyniques. Je ne reviens pas ici sur cet aspect, dont j’ai parlé plus tôt, mais tiens simplement à rappeler quelques points importants pour comprendre l’extrait donné plus bas.
On m’a parfois dit, alors que je comparais les cyniques aux punks-à-chiens, qu’une différence de taille séparait les deux groupes : les uns sont des philosophes, les autres non. On pourrait répondre que les cyniques ont très fréquemment été considérés en leur temps comme des imposteurs, des faux philosophes, et dans un sens ce ne serait pas faux ; on pourrait aussi répondre que les cyniques, pas plus que les routards, n’ont rien d’intéressant à dire. D’ailleurs, quelle serait la philosophie commune aux travellers d’aujourd’hui ? Rien de plus, peut être, qu’un ensemble de prises de positions assez banales au moins depuis les années 1970 : le refus de la propriété, la recherche de l’autonomie et de la liberté, un certain hédonisme. Si les routards font de la philosophie, ce n’est pas par leur idées, mais par la façon dont ils traduisent en actes.
C’est d’ailleurs ce qui intéresse Foucault chez les cyniques, le contraste, ou le paradoxe, qui peut exister entre l’effroyable banalité de la doctrine, dont l’apport théorique est quasiment nul, et l’originalité de leur mode de vie : si le cynisme est pauvre théoriquement (d’ailleurs on n’a conservé que très peu de textes, essentiellement des récits de vie exemplaires et d’anecdotes édifiantes), il est riche pratiquement.
Extrait de la leçon du 29 février 1984 (collège de France)[1]
S’il l’on veut donner ses véritables dimensions au cynisme comme forme d’existence dans l’Europe chrétienne et dans l’Europe moderne, on ne peut pas porter simplement sur lui un jugement uniformément négatif. Je crois que ces trois premières analyses (NDE: F. fait référence à trois ouvrages consacrés au cynisme moderne), se bâtissent sur l’hypothèse d’une discontinuité assez forte et bien marquée entre le cynisme ancien et le cynisme moderne, comme s’il n’y avait pas eu d’intermédiaires, et comme si c’étaient là deux formes, plus ou moins apparentées sans doute, mais violemment affrontées. S’il y a eu une histoire longue, continue du cynisme, impliquant bien entendu des formes diverses, des pratiques différentes, des styles d’existence modulés selon des schémas différents, il est facile de montrer l’existence permanente de quelque chose qui peut apparaître comme le cynisme à travers toute la culture européenne.
Enfin et surtout, dans ces interprétations, (…) le cynisme est toujours présenté comme une sorte d’individualisme, d’affirmation de soi, une exaspération de l’existence particulière, de l’existence naturelle et animale, de l’existence en tout cas dans son extrême singularité, que ce soit par opposition, en réaction à la dislocation des structures sociales de l’Antiquité, ou en face de l’absurdité du monde moderne. C’est en tout cas l’individu et l’individualisme qui seraient au noyau du cynisme. En axant l’analyse du cynisme sur ce thème de l’individualisme, on risque (pourtant) de manquer ce qui, de mon point de vue, est une (de ses) dimensions fondamentales, c’est-à-dire le problème, qui est au noyau du cynisme, de la mise en rapport entre formes d’existence et manifestation de la vérité. La forme d’existence comme scandale vivant de la vérité, c’est cela, me semble-t-il, qui est au cœur du cynisme, au moins autant que ce fameux individualisme qu’on a l’habitude de retrouver si souvent à propos de tout et de n’importe quoi. Eh bien, si on acceptait - ce sont là des hypothèses, du travail possible - d’envisager la longue histoire du cynisme à partir de ce thème de la vie comme scandale de la vérité, ou du style de vie, de la forme de vie comme lieu d’émergence de la vérité (le bios comme alèthurgie), il me semble que, dans ce cas-là, on pourrait faire apparaître un certain nombre de choses et suivre un certain nombre de pistes. On verrait au moins trois facteurs, trois éléments qui ont pu, dans la longue histoire de l’Europe, transmettre, sous des formes encore une fois diverses, le schéma cynique, le mode cynique d’existence, dans l’Antiquité chrétienne d’abord et dans le monde moderne.
Le premier support du transfert et de la pénétration du mode d’être cynique dans l’Europe chrétienne a été constitué bien entendu par la culture chrétienne elle-même, les pratiques et les institutions de l’ascétisme. Dans l’ascétisme chrétien, on trouve ce qui a été je crois pendant longtemps et pour des siècles le grand véhicule du mode d’être cynique à travers l’Europe. Que les pratiques ascétiques du christianisme ancien (p. l67) aient été vécues et mises en œuvre comme témoignage de la vérité elle-même, que l’ascète chrétien ait voulu donner corps à la vérité par ces pratiques même d’ascèse à la manière du cynique, on en a une grande série de témoignages tous convergents. On a d’ailleurs mille exemples de cette proximité extrême entre la pratique du dépouillement cynique comme témoignage, martyre de la vérité, et l’ascèse chrétienne comme témoignage aussi de la vérité (même s’il s’agit d’une autre vérité). Un des plus anciens se trouve justement dans Lucien, à propos de Pérégrinus. Pérégrinus était un philosophe, un cynique dont Lucien raconte la mort théâtrale. Il s’était brûlé vif, aux Jeux Olympiques je crois. Et à propos de cette mort, Lucien écrit un texte extrêmement violent où il raconte la vie de Pérégrinus et comment celui-ci, à un moment donné de sa vie, a été chrétien et a repris à son compte et pratiqué tous les renoncements qui caractérisent la vie chrétienne. Pourquoi ? Par fidélité et obéissance à celui que Lucien appelle le sophiste, qui a été crucifié en Palestine. Pérégrinus est donc un cynique qui est passé par le christianisme, ou un chrétien devenu cynique. En tout cas, l’interférence entre les deux formes de vie est assez proche pour que quelqu’un comme Lucien, évidemment assez éloigné de ces problèmes-là, assez hostile à toutes ces formes de pratiques, puisse les confondre sans trop de difficultés. C’est de la même façon que Julien, plus tard, dans sa critique des cyniques, soulignera la proximité qu’il y a entre la vie cynique et la vie chrétienne. Et il est remarquable que saint Augustin par exemple, dans un texte que je voudrais vous citer, évoque ce problème des cyniques. C’est dans un passage de La Cité de Dieu (livre XIX), où il pose la question: Est-ce qu’effectivement on peut admettre dans la communauté chrétienne et reconnaître comme chrétien quelqu’un qui mène le mode de vie cynique (ce qui prouve que le mode de vie cynique était encore pratiqué jusque dans les communautés chrétiennes, ou en tout cas que ceux qui pratiquaient le mode de vie cynique souhaitaient, cherchaient à s’intégrer aux communautés chrétiennes)? Et saint Augustin répond: «il importe peu à cette cité, qu’en professant la foi qui conduit à Dieu, l’on adopte tel ou tel genre de vie (…). Elle n’impose donc pas aux philosophes eux-mêmes, quand ils se font chrétiens, de changer leur tenue et leurs manières de vivre, si elles n’ont rien de contraire à la religion, mais bien de renoncer à leurs fausses doctrines.» La leçon de saint Augustin est donc claire: du moment que la doctrine est la bonne, on peut parfaitement accepter dans la communauté chrétienne quelqu’un qui mène la vie cynique, qui prend le costume cynique, qui vit comme un cynique. On trouverait, par exemple dans saint Jérôme (Contre Jovinianus, livre II, paragraphe IV, chapitre 14), quelque (p. 168) chose sur la mort de Diogène, complété d’un éloge. Il incite les chrétiens à n’être pas inférieurs à un philosophe comme Diogène.
Qu’il y ait eu, au début du christianisme, une interférence très sensible entre la pratique cynique et l’ascèse chrétienne, il n’y a à cela évidemment rien de bien étonnant. Mais ce qu’il faut bien remarquer aussi, c’est que le mode de vie cynique a été, par l’intermédiaire bien sûr de l’ascèse chrétienne et du monachisme, transmis pendant très longtemps. Et même si les références explicites au cynisme, à la doctrine, à la vie cyniques, si le terme même de « chien » en référence au cynisme de Diogène disparaît, beaucoup des thèmes, des attitudes, des formes de comportement qu’on avait pu observer chez les cyniques vont se retrouver dans de très nombreux mouvements spirituels du Moyen Âge. Après tout, les ordres mendiants - ces gens qui, se dépouillant de tout, prenant le vêtement le plus simple et le plus grossier, s’en vont pieds nus pour appeler les hommes à veiller à leur salut et les interpellent dans des diatribes dont la violence est connue - reprennent de fait un mode de comportement qui est le mode de comportement cynique. Les franciscains avec leur dépouillement, leur errance, leur pauvreté, leur mendicité, sont bien, jusqu’à un certain point les cyniques de la chrétienté médiévale. Quant aux dominicains, eh bien vous savez qu’ils s’appellent eux-mêmes les Domini canes (les chiens du Seigneur). Même si ce n’est vraisemblablement qu‘a posteriori que l’on a fait le rapprochement avec le cynisme antique, de fait c’est bien ce modèle-là, transmis à travers le christianisme, qui est réactivé. On trouverait bien d’autres exemples de cette réactivation dans des mouvements plus ou moins hérétiques qui ont fleuri et se sont développés tout au long du Moyen Âge. (…) Le choix de vie comme scandale de la vérité, le dépouillement de la vie comme manière de constituer, (p. 169) dans le corps même, le théâtre visible de la vérité semblent avoir été, tout au long de l’histoire du christianisme, non seulement un thème, mais une pratique particulièrement vive, intense, forte, dans tous les efforts de réforme qui se sont opposés à l’Église, à ses institutions, à son enrichissement, à son relâchement des mœurs. Il y a eu tout un cynisme chrétien, un cynisme anti-institutionnel, un cynisme que je dirais anti-ecclésiastique, dont les formes et les traces encore vivantes étaient sensibles à la veille de la Réforme, pendant la Réforme, à l’intérieur même de la Réforme protestante, ou même de la contre-Réforme catholique. Toute cette longue histoire du cynisme chrétien pourrait être faite.
Deuxièmement, il serait intéressant aussi, en se plaçant plus près de nous, d’analyser un autre support de ce qu’a été le mode d’être cynique, le cynisme entendu comme forme de vie dans le scandale de la vérité. On le trouverait, non plus dans les institutions et les pratiques religieuses, mais dans les pratiques politiques. Là, bien entendu, je pense aux mouvements révolutionnaires, ou du moins, à certains de ces mouvements dont vous savez bien d’ailleurs qu’ils ont fait beaucoup d’emprunts aux différentes formes, orthodoxes ou non, de la spiritualité chrétienne. Le cynisme, l’idée d’un mode de vie qui serait la manifestation irruptive, violente, scandaleuse de la vérité fait partie et a fait partie de la pratique révolutionnaire et des formes prises par les mouvements révolutionnaires au long du XIXe siècle. La révolution dans le monde européen moderne - c’est un fait qui est connu et on en avait parlé, je crois, l’an dernier - n’a pas été simplement un projet politique, elle a été aussi une forme de vie. Ou, plus précisément, elle a fonctionné comme un principe déterminant un certain mode de vie. Et si vous voulez appeler par commodité « militantisme » la manière dont a été définie, caractérisée, organisée, réglée la vie comme activité révolutionnaire, ou l’activité révolutionnaire comme vie, on peut dire que le militantisme, comme vie révolutionnaire, comme vie consacrée, totalement ou partiellement, à la Révolution, a pris, dans l’Europe du XIXe et du XXe siècle, trois grandes formes. Deux surtout sont connues (la plus ancienne et la plus récente), mais je m’intéresserai à la troisième.
(Premièrement, on trouve) la vie révolutionnaire sous la forme de la socialité et du secret, la vie révolutionnaire dans la société secrète (associations, complots contre la société présente et visible, constitution d’une socialité invisible ordonnée à un principe ou à un objectif millénariste). Ce côté-là de la vie révolutionnaire a été évidemment très important au début du XIXe siècle.
Deuxièmement, à l’autre extrémité, vous avez le militantisme, sous la forme non plus de la socialité secrète mais de l’organisation visible, (p.170) reconnue, instituée, qui cherche à faire valoir ses objectifs et sa dynamique dans le champ social et politique. C’est le militantisme non plus se cachant dans la socialité secrète, mais apparaissant, se faisant reconnaître dans des organisations syndicales ou des partis politiques à fonction révolutionnaire.
Et puis, troisième façon importante d’être militant, c’est le militantisme comme témoignage par la vie, sous la forme d’un style d’existence. Ce style d’existence propre au militantisme révolutionnaire, et assurant le témoignage par la vie, est en rupture, doit être en rupture avec les conventions, les habitudes, les valeurs de la société. Et il doit manifester directement, par sa forme visible, par sa pratique constante et son existence immédiate, la possibilité concrète et la valeur évidente d’une autre vie, une autre vie qui est la vraie vie. Là encore, vous retrouvez, tout à fait au centre de l’expérience, de la vie, du militantisme révolutionnaires, ce thème, si fondamental et en même temps si énigmatique et si intéressant, de la vraie vie, cette vraie vie dont le problème a été posé par Socrate déjà et dont la thématique n’a pas cessé, je crois, de parcourir toute la (pensée) occidentale.
La vie révolutionnaire, la vie comme activité révolutionnaire a eu ces trois aspects: la socialité secrète,l’organisation instituée, et puis le témoignage par la vie (témoignage de la vraie vie par la vie elle-même). Ces trois aspects du militantisme révolutionnaire (socialité secrète, organisation et style d’existence) ont été constamment présents au XIXe siècle. Mais ils n’ont évidemment pas eu tous, ni toujours, la même importance. On pourrait dire schématiquement qu’ils ont été tour à tour dominants: l’aspect de la socialité secrète a dominé clairement les mouvements révolutionnaires au début du XIXe siècle; l’aspect de l’organisation est devenu essentiel dans le dernier tiers du XIXe siècle avec l’institutionnalisation des partis politiques et des syndicats; et l’aspect du témoignage par la vie, du scandale de la vie révolutionnaire comme scandale de la vérité a été dominant beaucoup plus dans les mouvements qui sont, en gros, ceux du milieu du XIXe siècle. Dostoïevski bien sûr serait à étudier, et, avec Dostoïevski, le nihilisme russe; et après le nihilisme russe, l’anarchisme européen et américain; et également le problème du terrorisme el la manière dont J’anarchisme et le terrorisme, comme pratique de la vie jusqu’à la mort pour la vérité (la bombe qui tue même celui qui la pose), apparaissent comme une sorte de passage à la limite, passage dramatique ou délirant, de ce courage pour la vérité qui avait été posé par les Grecs et la philosophie grecque comme un des principes fondamentaux de la vie de vérité. Aller à la vérité, manifester la vérité, faire éclater la vérité jusqu’ (p.171) y perdre la vie ou faire couler le sang des autres, c’est bien quelque chose don! on retrouve la longue filiation à travers la pensée européenne.
Mais quand je dis que cet aspect du témoignage par la vie a été dominant au XIXe siècle, qu’on le trouve surtout dans ces mouvements qui vont du nihilisme à l’anarchisme ou au terrorisme, je ne veux pas dire pour autant que cette aspect a tout à fait disparu et n’a été qu’une figure historique dans l’histoire du révolutionarisme européen. En fait, on voit sans cesse ressurgir ce problème de la vie comme scandale de la vérité. Vous voyez (ainsi) réapparaître assez constamment le problème du style de vie révolutionnaire dans ce qu’on peut appeler le gauchisme. La résurgence du gauchisme comme tendance permanente à l’intérieur de la pensée et du projet révolutionnaires européens, s’est toujours faite en prenant appui, non pas sur la dimension de l’organisation, mais sur cette dimension du militantisme qui est la socialité secrète ou le style de vie, et quelquefois le paradoxe d’une socialité secrète se manifestant et se rendant visible par des formes de vie scandaleuses. Il ne faudrait d’ailleurs pas croire que là où le révolutionarisme prend la forme de l’organisation en partis politiques, la dimension du secret et celle du style de vie, ou de la vie comme scandale de la vérité, a complètement disparu. Là, il faudrait faire évidemment une analyse précise de ce qu’ont été les partis révolutionnaires en France (parti socialiste et parti communiste). Ce serait intéressant de voir comment, dans le parti communiste, s’est posé le problème du style de vie, comment il s’est posé dans les années 1920, comment petit à petit il a été transformé, élaboré, modifié et finalement inversé, puisqu’on arrive à ce résultat paradoxal, mais qui ne fait en un sens que confirmer l’importance du style de vie et de la manifestation de la vérité dans la vie militante. Dans la situation actuelle, toutes les formes, tous les styles de vie qui pourraient avoir la valeur d’une manifestation scandaleuse d’une vérité inacceptable ont été bannis, mais le thème du style de vie reste tout le même absolument important dans le militantisme du Parti communiste français, sous la forme de l’injonction, en quelque sorte inversée, d’avoir, reprendre et à faire valoir, dans son style de vie, obstinément et visiblement, toutes les valeurs reçues, tous les comportements les plus habituels et les schémas de conduite les plus traditionnels. De sorte que le scandale de la vie révolutionnaire - comme forme de vie qui, en rupture avec toute vie acceptée, fait apparaître la vérité, témoigne pour elle - s’inverse maintenant, dans ces structures institutionnelles du Parti communiste français, avec la mise en œuvre des valeurs reçues, des comportements habituels, les schémas de conduite traditionnels, en opposition avec ce qui serait la décadence de la bourgeoisie ou la folie gauchiste. On imagine assez (p. 172) bien ce que serait cette analyse, tout de même importante à faire, du style de vie dans les mouvements révolutionnaires européens, et, autant que je sache, cela n’a jamais été fait: comment l’idée d’un cynisme de la vie révolutionnaire comme scandale d’une vérité inacceptable s’est opposée à la définition d’une conformité d’existence comme condition pour le militantisme dans des partis qui se disent révolutionnaires. Ce serait un autre objet d’étude.
Notes
[1] M. Foucault, Le courage de la vérité. Le gouvernement de soi et des autres II (Paris, Hautes-Etudes, Seuil-Gallimard, 2009), p. 166 et suiv.
un commentaire
“le recueil s’intitule le courage de la verite”, euh ?
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